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Pourquoi répondre à la consultation du public sur l’accès à la justice en matière d’environnement

Juste avant Noël, la Commission Européenne a ouvert une consultation publique concernant la mise en œuvre de la Convention d’Aarhus dans le domaine de l’accès à la justice. Cette procédure fait suite à la décision du comité d’examen du respect des dispositions de la convention d’Aarhus (le Comité d’Aarhus) concluant à la violation de l’Article 9(3) et (4) de la Convention par l’UE. En cause : l’accès insuffisant des membres du public aux procédures judiciaires ou administratives leur permettant de contester les décisions des institutions européennes.

La consultation publique nourrira l’étude menée pour la Commission à la demande du Conseil visant à trouver des moyens de se conformer aux conclusions du Comité d’Aarhus.

Cette initiative aurait pu être la bienvenue mais elle s’avère malheureusement être une déception de plus dans la saga de l’accès aux juridictions de l’UE. Une grande partie de la consultation vise à recueillir l’opinion publique sur la question de savoir si l’accès à la justice dans le domaine de l’environnement est suffisamment garanti par les Etats Membres. Elle tente aussi d’évaluer le degré de conscientisation du public quant à la possibilité de remettre en cause indirectement les décisions des institutions européennes par les procédures existantes. Un certain nombre de questions de la consultation reposent sur la capacité des juridictions nationales à se référer à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) quant à la validité et à l’interprétation des actes communautaires garantie par l’article 267 TFUE.

Ceci n’est guère étonnant puisque l’argument principal de la Commission devant le Comité d’Aarhus était que la Convention n’exigeait aucun accès direct aux juridictions et que la possibilité de saisir la CJUE d’une question préjudicielle était suffisante. Cet argument a été rejeté par ledit Comité sans équivoque.

Bien que ces questions soient d’un intérêt certain pour évaluer le degré d’accès à la justice au sein de l’Union Européenne, elles sont hors sujet dans ce contexte. Les questions posées n’abordent pas de manière claire et efficace les lacunes du système juridique européen en ce qui concerne les voies de recours et l’accès à la justice au niveau des institutions européennes.

Le Comité d’Aarhus a recommandé à l’Union Européenne de modifier le règlement d’Aarhus (qui met en œuvre les dispositions de la Convention d’Aarhus en ce qui concerne les institutions européennes) afin de corriger certaines violations : le fait que seules les ONG environnementales ont le droit de mettre en cause une décision prise par une institution européenne, alors que la Convention parle des « membres du public » ; la définition trop limitée des actes qui sont susceptibles de recours; le champ limité d’action des ONGs devant la CJUE après un recours administratif déposé en vertu du règlement. Le Comité a aussi émis certains doutes quant à la validité de certaines exemptions aux dispositions qui régissent l’accès à la justice en ce qui concerne certaines catégories d’actes, tels que les décisions relatives aux aides d’Etat.

La Commission Européenne dispose du pouvoir d’initiative en matière législative, elle doit par conséquent prendre en compte un nombre important d’éléments afin de bien évaluer les meilleurs moyens de réviser le règlement et mettre en œuvre correctement les dispositions de la Convention.

Pourtant, on ne trouve pas un seul mot au sujet de cette révision dans la consultation publique. Aucune question n’est posée sur la portée souhaitable de cette révision, sur le meilleur moyen de corriger les lacunes identifiées par le Comité, sur le types d’actes et d’omissions qui doivent être susceptibles de recours, si d’autres entités que les ONGs doivent elles-aussi disposer d’un intérêt pour agir et, dans l’affirmative, lesquelles et dans quel but.

Cette consultation publique ne semble pas chercher à « explorer les moyens de se conformer à la Convention d’Aarhus » comme promis à la Conférence des Parties à la Convention d’Aarhus tenue en septembre 2017 mais plutôt de remettre en question la décision du Comité et de réaffirmer la position de l’Union Européenne.

Maintenir le status quo semble être l’option privilégiée par la Commission. Cette hypothèse est confirmée par les termes de références de l’étude mentionnée précédemment, qui sont excessivement généraux, quand ils ne sont pas hors sujet. L’étude donnera une première vision de la manière dont est garanti l’accès à la justice au niveau national et reposera en grande partie sur l’existence de la possibilité de saisir la Cour de Justice de l’UE de questions préjudicielles. Par conséquent, il semble bien que cette étude ne repose pas sur l’intention de réviser le Règlement Aarhus.

Ce manque de volonté politique de la part de la Commission Européenne d’accepter les conclusions du Comité d’Aarhus, un comité des Nations Unies nommé par les Etats Membre à la Convention (composé de 8 juristes reconnus dans leur pays respectifs doyens d’université, avocats spécialisés en environnement, anciens avocats du service juridique de la Commission Européenne et juges administratifs) est réellement préoccupant. La Commission fait aussi la sourde oreille aux demandes du Conseil et de ses 28 Etats membres, du Parlement Européen et du Comité Economique et Social Européen. Toutes ces institutions ont demandé à la Commission d’adopter les mesures adéquates permettant de garantir l’accès à la CJUE. C’est ce genre de position qui mène aujourd’hui les citoyens européens à se méfier des institutions européennes et qui contribue à nourrir l’euroscepticisme à une époque où la société civile demande plus de participation démocratique.

Une interprétation positive de ce choix de questions de la part de la Commission pourrait au contraire prouver que la Commission fait de son mieux pour démontrer que, bien que la procédure permettant de déferrer d’une question préjudicielle soit très utile et permette à la CJUE d’exiger un accès accru à la justice au niveau national, celle-ci ne s’applique pas au niveau européen.

Dans ce sens-là, la consultation viserait à démontrer que le manque d’une directive sur l’accès à la justice en matière environnementale, les disparités dans la manière où l’accès à la justice est garanti au niveau national, la réticence de nombreux tribunaux nationaux à procéder à des questions préjudicielles à la CJUE (voire la décision récente de la CJUE de condamner la France pour ne pas avoir poser une question préjudicielle). Tous ces éléments empêchent les membres du public de se reposer d’une façon pratique et efficace sur la procédure permettant de saisir la CJUE d’une question préjudicielle.

Cela pourrait ainsi convaincre ceux qui sont clés au sein de la Commission que l’accès limité établi par le Règlement d’Aarhus doit être élargi autant en ce qui concerne son champ d’application et des actes pouvant être contestés que les conditions en vertu desquelles les membres du public peuvent se voir accorder un intérêt à agir.

Le bénéfice du doute doit donc être accordé à la Commission au moins jusqu’à fin septembre lorsqu’elle adoptera sa décision, suite à la demande du Conseil, de soit réviser le Règlement Aarhus, soit d’expliquer en quoi ce n’est pas la bonne solution et de proposer un autre moyen de se mettre en conformité.

Saisissons ce moment pour réaffirmer et expliquer en nombre à la Commission Européenne que garantir l’accès à la CJUE aux membres du public permettra d’améliorer la mise en œuvre de la législation environnementale européenne qui, à son tour, pourra relever le niveau de protection de l’environnement. Faisons valoir qu’accorder aux ONG environnementales un intérêt à agir ne submergera pas la Cour Européenne (comme cela est d’ailleurs expliqué par l’évaluation d’impact de la Commission relative à l’adoption de la communication de la Commission sur l’accès à la justice), surtout depuis le doublement du nombre de juges au Tribunal de l’Union Européenne…

Le fait que les juges européens soient submergés par des dossiers de milliers de pages liés à des affaires de concurrence n’a d’ailleurs jamais inquiété personne… Aussi longtemps que les ONG n’auront pas d’intérêt à agir devant la CJUE, l’intérêt public, l’environnement ainsi que la santé publique ne seront pas représentés devant la Cour, contrairement aux intérêts économiques et financiers de l’industrie qui, eux, y ont accès. Permettre aux membres du public de demander des comptes aux institutions à travers la Cour de Justice augmenterait leur légitimité et leur crédibilité.

La réponse de ClientEarth à la consultation publique est accessible ici (en anglais). Nous espérons qu’elle encouragera d’autres que nous à répondre et à exiger le respect du droit, et dans ce cas-ci, du droit international par nos institutions européennes.