ClientEarth
11 février 2019
Analyse d’Anne Friel
C-416/17 – Commission / France (Précompte mobilier)
Pour la première fois dans une procédure d’infraction, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a jugé qu’une juridiction nationale, en l’espèce le Conseil d’Etat français, avait enfreint le droit européen pour avoir manqué de procéder à un renvoi préjudiciel en interprétation du droit de l’Union, conformément à l’article 267 TFUE. Bien que cette affaire soit sans rapport avec le droit de l’environnement, l’importance de cette décision ne doit pas être sous-estimée pour la protection de l’environnement. En outre, cette affaire rappelle aux tribunaux nationaux qu’ils sont tenus par la jurisprudence de la Cour de Justice de l’UE, et que le fait de ne pas procéder à un renvoi préjudiciel peut provoquer une procédure d’infraction et une décision de la CJUE constatant le non-respect du Traité par l’Etat en question.
Cette affaire visait à déterminer si le traitement fiscal fait par le Conseil d’Etat des dividendes distribués par une filiale non-résidente à sa société-mère résidente était contraire aux Articles 49 (liberté d’établissement) et 63 (libre circulation des capitaux) du TFUE.
La Commission a engagé une procédure d’infraction au motif que :
La Cour a donné raison à la Commission sur ces deux arguments. En ce qui concerne le deuxième argument, la Cour a notamment rappelé que l’obligation de procéder à un renvoi préjudiciel avait pour but de prévenir que ne s’établisse, dans un État membre, un ensemble de règles de droit qui ne concorderait pas avec les règles du droit de l’Union.
Elle a donc insisté sur l’obligation faite aux juridictions nationales de dernière instance de se référer à l’Article 267 du TFUE lorsque l’interprétation du droit européen suscite un doute raisonnable. Dans ce cas d’espèce, la Cour a conclu que le Conseil d’Etat avait un doute raisonnable quant à l’interprétation de la législation européenne et que celui-ci avait donc manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 267 du droit de l’Union, en manquant de poser une question à titre préjudiciel.
La décision de la Cour est particulièrement importante dans le domaine de l’accès à la justice en matière d’environnement, et ce pour deux raisons.
Tout d’abord, c’est la première fois que la Commission lance une procédure d’infraction au motif qu’un Etat membre ne respecte pas la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne. Cette affaire démontre la volonté de la Commission de contrôler l’application des précédents juridiques européens ainsi que la mise en œuvre des traités et de la législation européenne. En l’absence d’une législation européenne contraignante mettant en œuvre l’Article 9(3) de la Convention d’Aarhus, nous nous appuyons sur la jurisprudence de la CJEU pour clarifier et appliquer les dispositions de la Convention d’Aarhus aux Etats Membres.
Par conséquent, si les tribunaux nationaux continuent à ignorer cette jurisprudence en toute impunité, les Etats Membres peuvent tout simplement ignorer les dispositions de la Convention d’Aarhus. Par le biais de cette affaire, la Commission envoie donc un signal positif alors que l’on constate d’importants reculs dans l’observance des obligations découlant de la convention d’Aarhus dans certains États Membres.
En outre, dans toute l’Europe, beaucoup d’ONG environnementales plaidant au niveau national sont confrontées à des juges nationaux qui sont réticents à poser des questions préjudicielles à la Cour, comme prévu par l’Article 267 du TFUE. Cet avertissement sévère adressé aux juridictions nationales qu’elles peuvent, par l’intermédiaire de leur État, être condamnées pour avoir enfreint l’Article 267 du TFUE permettra, espérons-le, de mettre un terme à cette pratique.